POURQUOI LIRE UN CLASSIQUE ?
Pourquoi lire un classique ?
Ce que l’on voit d’abord aujourd’hui en entrant dans une libraire, c’est d’une part la quantité de livres édités, dont on sait qu’ils seront aussitôt oubliés et d’autre part l'importance prise par le régime des best-sellers et de la promotion.
Pour le dire autrement, la littérature est prise dans un système de rotation rapide, un système de hit-parade dans lequel à une vitesse toujours plus grande, de nouveaux livres «bouleversants» remplaceront très vite d’autres livres «renversants».
Face à ce constat, on peut défendre l’idée que les conditions de la création littéraire ne sont pas requises. Celles-ci ne peuvent en effet se dégager que dans l'inattendu, la rotation lente et la diffusion progressive. Les Kafka ou les Borges de demain risquent de ne pas trouver d'éditeurs et cela sans que personne ne s'en aperçoive. Car les écrivains, pour être édités, sont condamnés à trouver un public immédiatement ou presque. Ne sont ainsi choisis par le monde de l'édition que ceux qui produisent ce qui est attendu, ce qui existe et plaît déjà, ce qui est conforme aux modes et au goût imposé.
Se dégage alors un roman standard, qui imite le roman précédent parce que celui-ci s’est bien vendu. Les imitateurs s'imitent ensuite entre eux, d'où leur force de propagation. Dans ce système bien réglé, les critiques toujours plus élogieuses deviennent des échanges de bons procédés : «Je dirai du bien de ce livre dans ma chronique si vous éditez le mien en suggérant à votre réseau de me rendre la pareille».
Ce que l’on nous propose de lire aujourd’hui dans le petit monde de la littérature, c’est donc souvent la copie d’une copie. Et malheureusement, il est impossible d’imiter un chef-d’œuvre car ses mécanismes sont invisibles. Il ne reste donc plus qu’à lire les classiques. Pas tous, parce qu’eux-mêmes sont le produit d’une mémoire sélective et bien arbitraire, selon des codes et des normes qui peuvent légitimement être questionnés. Mais au moins, dans les classiques, on trouvera des livres qui sont le fruit d’une voix singulière, d’une écriture qui voit le monde d’une manière neuve ou différente. Cette voix devient très faible et très fragile dans cet univers où les best-sellers de l’actualité ont envahi tout l’espace, celui des journaux, des plateaux de télévision et même des rayonnages. Mais lorsqu’on finit un tel livre, on sait qu’aucune autre lecture ne lui sera substituable. Et certainement, sa lecture n’en laissera pas la même trace.
(Gérald Liscia, ISTOM).
Pour plus d'éléments, lire : Gilles Deleuze, L'Autre Journal, n°8, octobre 1985, Entretien avec Antoine Dulaure et Claire Parnet.
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