LETTRE SUR UN BONHEUR QUI N'EST PLUS / Anaïs Alliet

Concours littéraire ISTOM 2014 - Catégorie Lettre - 3ème Prix

Lettre sur un bonheur qui n’est plus. / Anaïs ALLIET




Balzac disait, mon Ange, «en amour, il y en a toujours un qui souffre et l’autre qui s’ennuie». Si donc ta souffrance est aussi vive que mon ennui, tu ne seras pas fâchée que je mette un terme à l’un comme à l’autre. Tu vois bien que tu as de quoi être heureuse.

Si je te dis que c’est fini, c’est que je le pense, je m’arrache à toi, tu ne me possèdes plus. Ainsi, tu as de nouveau la possibilité de me désirer, c’est toujours une façon décente
d’être amoureuse. Tu vois bien que tu as de quoi être heureuse.

Je t’ai aimée sans haine, je te quitte sans passion. Après tout, c’est toi qui m’aimais cruel, t’aurais-je jamais plu clément ? C’est un peu de ta faute si je te fais souffrir ; et encore, tu devrais remercier mon ennui – il m’empêche même d’avoir envie de te faire du mal. Tu vois bien que tu as de quoi être heureuse.

Un jour on retrouve inévitablement quelqu’un qu’on aime. Pour toi, c’est bientôt. Moi, c’est déjà fait, et on a préféré que je te sacrifie. Tu vois bien que tu as de quoi être heureuse.

Tu sais qu’un jour j’aurais fini par ne plus te trouver belle. Notre amour est comme ta beauté, il n’avait rien d’éternel. Soyons heureux, moi de te quitter alors que tu es jeune encore, et toi de l’être encore assez pour trouver quelqu’un d’autre. Tu vois bien que tu as de quoi être heureuse.

Crois-moi, abandonne-moi comme je t’abandonne, et nous en rirons tous les deux. J’ai l’honnêteté de te quitter parce que je ne t’aime plus ; c’est un cadeau qu’on ne fait pas à tout le monde. Si ce cadeau ne te plaît pas, tu peux toujours me le rendre – pour le reste, cela ne me regarde pas. Tu vois bien que tu as de quoi être heureuse.

Relis ma lettre : tu as de quoi être heureuse. J’aurais pu te dire tout cela en face, tu sais que je l’aurais fait ; mais je veux que tu gardes cette lettre. Elle formera pour toi un vestige de l’amour pur et léger qu’elle a constitué avant l’intervention des flammes ; relique de tout ce que tu as eu et de tout ce qui te reste ; comme une leçon de ce qu’on fait de cruel avec ce qu’il y a de doux et ce qu’on fait de sombre avec ce qu’il y a de pur.

Quand tu la reliras, tu verras que c’est fini. Tous les jours, on se dit : "cela ne peut pas se finir ainsi. C'est vrai que je lui ai menti, que je l'ai trahi, que je lui ai fait des centaines d'abjectes choses, mais je l'aime, et lui comprendra. Peut-être même qu'il aura une révélation et qu'il suppliera à son tour pour être pardonné du mal qu'il m'a fait ; mais ce n'est pas possible que ce soit autrement, ce n'est pas possible, je le sais : il reviendra."

Et c'est une leçon que nous devons toujours réapprendre : car c'est possible, ils ne pardonnent pas, et ne reviennent jamais.

Georges


(Anaïs ALLIET,  EBI)
(3ème Prix Catégorie Lettre, concours Littéraire ISTOM 2014)

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